Le Strict maximum a entamé le billet du jour il y a à peine 4 mois et n'a jamais eu le temps de le peaufiner pour l'amener à sa publication.
Mais ça c'était avant que n'arrive l'impensable, l'inenvisageable jusqu'alors: un trou. Oui un trou dans notre agenda, un moment, du temps, appelez cela comme vous le voulez mais grâce à cette brèche, nous allons enfin vous parler du duo de photographes Pierre Joly (1925-1992) et Véra Cardot (1920-2003) qui a accompagné pendant plus de trente ans les oeuvres d'environs cinq-cents architectes et artistes, ce qui fait un motif tout à fait valable pour paraitre ici.
Pierre Joly.
Le travail de Pierre Joly et de Véra Cardot qui mêle étroitement textes et images insuffle un vent de modernité aux reportages architecturaux d'alors qui ont pour habitude de montrer l'architecture sans l'expliquer.
Durant ces formidables années de croissance, les deux photographes témoignent des nombreux échanges entre l'architecture et les arts plastiques et en soulignent l'importance pour la conception de notre espace. A l'heure où les rénovations honteuses de bâtiments s'enchainent et se banalisent, leur oeuvre reste le témoin majeur de ce qu'était et aurait dû rester (tant que possible) l'architecture moderne des trente glorieuses.
Véra Cardot et Elisabeth Joulia.
Pierre Joly et Eugène Dodeigne.
Portés par un engagement communiste commun et la photographie, Joly et Cardot commencent à travailler ensemble au début des années 60. D'origine hongroise Véra est avant tout une journaliste politique, Pierre lui est critique d'art depuis 1957.
Par le biais de véritables reportages notre duo ambitionne de décrypter la manière de faire des artistes et architectes à qui ils rendent visite. Hors de question donc de réaliser une photo unique qui se vanterait de rendre compte de tout: ils canardent dans tous les sens. Ils réalisent ainsi de grandes séries dont la succession compose d'évidentes séquences cinématographiques.
Intérieur de la maison Mex - André Wogensky.
Architecte Jean-Pierre Watel.
Maison de la culture de Créteil.
Pierre Joly à Chandigarh.
Le lien entre art et architecture se fait avec la rencontre d'André Bloc. Fondateur du mensuel l'Architecture d'aujourd'hui puis de la revue pluridisciplinaire Aujourd'hui : art architecture, il est le principal animateur du groupe Espace. Bloc est également l'auteur de sculptures habitacles photographiées par le couple.
André Bloc.
André Bloc et Pierre Joly.
Jusqu'en 1990, ils témoignent du travail de plus de 300 maîtres d'oeuvre français dont Marcel Lods, Jean Dubuisson, Jean Ginsberg, André Wogenscky, Oscar Niemeyer, Georges Adilon, Michel Andrault et Pierre Parat, André Gomis, Pascal Häussermann, Claude Parent, Alvar Aalto, Arne Jacobsen, Josep Lluis Sert etc, etc... On ne va pas vous citer les 300 mais il n'y avait que du beau monde et ce avant qu'on s'aperçoive qu'il s'agissait de beau monde... c'est avoir le nez fin comme on dit.
Leur militantisme politique et artistique pousse Véra et Pierre à sortir des sentiers battus. Ils photographient de nombreuses constructions issues de commandes publiques comme le logement de masse et leurs équipements ou encore les villes nouvelles.
Architecte Georges Candilis.
Archiecte Georges Adilon.
Archiecte Jean Dubuisson.
Architecte André Wogenscky.
Cité du soleil à Avignon - Georges Candilis.
Sarcelles, ville nouvelle 1973.
Ils font apparaitre les relations entre un édifice et son site, laissant parfois entrevoir la maquette et ainsi sous entendre leur interêt pour la conception elle même.
Eglise du Carmel de Saint-Saulve - Claude Guislain, Pierre Székely.
Réunion de chantier avec le petit Martin Székely qui fait risette.
Ainsi les deux photographes n'hésitent pas à investir des territoires en devenir et peu photogéniques de prime abord comme par exemple l'ancien bidonville de Nanterre. Ce qui leur permet ensuite d'introduire les nouvelles constructions de manière encore plus contrastée.
Cette présence dès l'élaboration des projets pousse les photographes à en saisir les prospectives, ils se définissent comme des "compagnons de la recherche architecturale".
Bien entendu le regard de Joly et Cardot reste avant tout objectif, mais ils n'oublient pas l'aspect esthétique de la pratique. Ils cherchent à chaque fois les conditions de lumière et de cadrage accentuant les qualités plastiques du sujet. Ainsi les images des édifices de Breuer dans la stations de ski de Flaine soulignent la pureté graphique des façades, celles réalisées en 1967 à l'église Sainte Bernadette de Nevers de Claude Parent et Paul Virilio exaltent le calepinage des planches en bois du béton.
La série consacrée à la maison construite par Häusermann à Sainte-Marie-du Mont en Savoie montre une juxtaposition de sculptures blanches posées délicatement sur la neige.
Les clichés ainsi composés à la manière d'un tableau plutôt qu'à celle d'un documentaire confirme la sensibilité des photographes.
Eglise Ste Bernadette de Nevers- C.Parent, P.Virilio.
Station de sports d'hiver Flaine - Marcel Breuer.
Station de sports d'hiver Flaine - Marcel Breuer, Haute-Savoie
La série consacrée à la maison construite par Häusermann à Sainte-Marie-du Mont en Savoie montre une juxtaposition de sculptures blanches posées délicatement sur la neige.
Les clichés ainsi composés à la manière d'un tableau plutôt qu'à celle d'un documentaire confirme la sensibilité des photographes.
Maison Pascal Häusermann - Sainte-Marie-du-Mont
A partir de 1964 conjointement à la photographie, Véra Cardot s'engage dans une activité plastique.
D'ailleurs nous évoquions Flaine un peu plus haut où Eric Boissonnas, maitre d'ouvrage et grand amateur d'art, commande à Véra plusieurs oeuvres qui décorent les bâtiments.
Ses articles parus de 1963 à 1967 dans l'Architecture d'aujourd'hui continuent à sensibiliser les architectes à la contribution des artistes pour ainsi donner naissance à une architecture sensible.
A partir de 1967 il privilégie les périodiques ne se limitant pas aux architectes ni au XXe siècle comme Le jardin des Arts et surtout L'oeil qui traite aussi bien l'architecture moderne que l'histoire des arts.
Pierre Joly et Véra Cardot contribuent une vingtaine d'années à la revue L'Oeil et y ont en charge la rubrique architecture de 1972 à 1974. Le premier article traite de l'oeuvre de Pascal Häussermann et son contenu inaugure le genre monographique. Les clichés sont accompagnés de plans, coupes et de longues légendes descriptives réaffirmant le regard d'architecte des photographes. Ils nous invitent ainsi à une double lecture: les légendes expliquent l'édifice et le texte les conditions ayant conduit l'auteur à les bâtir.
L'écriture marque l'intérêt qu'ils développent pour certaines productions " Écrire sur les artistes et architectes contemporains, une notion essentielle qui distingue la critique de l'histoire, épargnant éventuellement les quelques soucis de méthodes mais imposant la sympathie naturelle qui va a nos semblables, nos frères, avec l'enthousiasme qui se nourrit de l'invention. On évite alors de parler d'Art Moderne, c'est une catégorie polémique. Contemporains nous dirons, désignant ainsi ceux que l'on peut accompagner dans leurs recherches, l'essentiel après tout est d'entrer dans les ateliers".
Relayée par de nombreux articles et ouvrages, l'activité critique de Pierre Joly se fonde sur une connaissance intime d'hommes et de leurs pratiques, une connaissance qu'il enseigne à partir de 1967 et ce jusqu'à la fin de sa vie.
La curiosité du duo dépasse largement le cadre de l'actualité construite puisque en 1986 ils participent au classement Monument Historique de la villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens. Vous comprendrez que l'apport de Véra et de Pierre à l'histoire de l'architecture est tout à fait inestimable et que ce n'est pas parce que nous sommes occupés dans nos locaux secondaires que nous devions passer ceci sous silence.
La curiosité du duo dépasse largement le cadre de l'actualité construite puisque en 1986 ils participent au classement Monument Historique de la villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens. Vous comprendrez que l'apport de Véra et de Pierre à l'histoire de l'architecture est tout à fait inestimable et que ce n'est pas parce que nous sommes occupés dans nos locaux secondaires que nous devions passer ceci sous silence.
De simples archives leurs photographies se font oeuvres. Abstraites et expérimentales, elles révèlent un aspect essentiel de leur méthode: une utilisation autonome et personnelle du médium, situé quelque part entre l'art et le document.
Si vous aussi vous appréciez le travail de nos deux photographes du jour vous aurez tout le loisir de vous rincer l'oeil un peu plus longuement sur le site de la bibliothèque Kandinsky mais prenez garde toutefois, c'est addictif.
Notre billet terminé, nous bouclons le dossier avec un seul regret: ne pas avoir réussi à déterminer à l'instar de Jonathan et Jenifer, France et Michel, Brad et Angelina ou Bernard et Bianca, si Pierre et Véra ont su oui ou non joindre l'utile à l'agréable.
Le mystère reste entier.
Bonjour !
RépondreSupprimerJe suis très heureux de lire votre fort intéressant et complet billet sur le travail de ma grand-mère, il y a quelque chose de plaisant à voir qu'il y a des gens qui continuent de s'intéresser à son travail et à celui de Pierre Joly, 19 ans et 30 ans après leurs morts respectives.
Je suis assez curieux des sources que vous avez pu utiliser (peut-être une déformation académique de ma part, quand il n'y a pas de bibliographie à la fin d'un texte j'ai l'impression qu'elle manque)
Pour ce qui est de la question que vous formulez à la fin, qui est plutôt une intuition sous forme de question, je peux vous en apporter la confirmation, et ce bien qu'ils aient été tous les deux mariés et parents, chacun de leur côté (je ne connais pas tous les détails ni comment la chose a finalement été révélée dans ma famille, c'est assez compliqué de parler de ces choses, même si pour moi c'est de l'histoire ancienne).
Cordialement,
Arthur Lapraye, petit-fils de Véra Cardot (mais pas de Pierre Joly !)