Faisons un petit bon en arrière. Un bon de quelques jours à peine où le Strict Maximum se dorait encore la pilule dans le Luberon. Dès notre arrivée, nous faisions la connaissance de l'artiste Charlotte Culot à son vernissage. Non seulement nous avons d'emblée aimé son travail mais le courant est instantanément passé avec la personne.
L'énergie de Charlotte Culot se retrouve dans ses toiles où s'entrechoquent les couleurs. Après avoir passé une journée chez elle, ce n'est peut-être pas un hasard si nous avons eu le sentiment de partir nos batteries chargées. Et des rencontres comme celle-ci font beaucoup de bien ! On se quitte avec des envies de lectures, de voyages, de visites... et un tableau pour prolonger l'instant.
Bonjour Charlotte, nous sommes dans votre maison du Vaucluse. Tout y est blanc à l’exception de vos tableaux qui sont de véritables explosions de couleurs! C’est quelque chose que vous aviez pensé en aménageant l’espace?
Je suis coloriste, toute la journée je «mange» de la couleur! Le blanc dans la maison me permet de reposer les yeux et l'esprit. Je suis habituée depuis l'enfance à vivre dans du blanc.
Vous vivez entre le Vaucluse et la Bretagne, où peignez-vous le plus?
Après des années passées à peindre en Provence, j'ai migré mon atelier vers la côte sauvage du finistère sud, juste avant la pointe du Raz. Face à l’océan, je suis son rythme, les yeux fixés jour et nuit sur son mouvement incessant…
Vos toiles sont des techniques mixtes, peinture et collage, comment les construisez-vous?
Dans ma boite à outils il y a des gouaches que je fabrique avec des pigments, du papier, de la colle et des ciseaux. L'utilisation de la gouache me séduit par son aspect dense et mat, sa luminosité quasi immédiate. Je construis ma peinture telle une architecture. Sous l'apparente ordonnance des formes il y a un à « chaos » : premier jet fougueux de lignes et de traits jetés « au hasard ». Ce dernier sera en partie ou totalement recouvert par les papiers colorés. Assemblés, ils trouveront leur place dans un « cosmos » ( ordre ). Essayant de créer un champ libre, structuré, ouvert et total. La couleur me permet d'avancer frontalement pour partager une source d' énergie.
Vous peignez et exposez depuis 1991. Avez-vous toujours été dans l’abstraction? Avez-vous le sentiment que votre peinture évolue au fil des années ?
La couleur est un réservoir ouvert d’énergie dans lequel nous pouvons puiser à l'infini. Je glisse -au sens littéral- d'un paysage physique à un paysage pictural, jamais le même et pourtant dans une véritable continuité; mes yeux en pilotage automatique, aux aguets... C'est un voisin agriculteur qui venait me rendre souvent visite à l’atelier et me regardait peindre, qui un jour m'a dit: "tu peins des petits champs" Il m'a fallu un certain temps pour comprendre ce qu'il avait voulu dire. Il y a un tableau qui ne cesse de me hanter c'est La porte fenêtre de Matisse. J'ai l'impression que ce tableau m'autorise -dans mon inconscient- à répéter sans cesse le motif de la fenêtre ouverte sur le paysage et ceci en le traitant exclusivement de façon abstraite. Je cherche à donner à voir mon immersion kinesthésique dans la nature et ceci grâce à la couleur et la matière. J'accorde une importance au fait que mes tableaux -pour la plupart- peuvent se voir dans tous les sens: ce concept me plaît beaucoup, on peut voir "un champs" dans tous les sens aussi, comme quand on les voit vu du ciel.
Je dessinais beaucoup étant enfant, ma famille m'y encourageait... Après des études universitaires d'archéologie et d'histoire de l'art et d'anthropologie, j'ai commencé à peindre car je me sentais un peu perdue pour rentrer dans des institutions ou lieux officiels... J’ai pris comme matériaux ce que j'avais sous la main: je me trouvais en Italie dans un endroit retiré et à la boucherie du village, il y avait du très beau papier avec lequel on emballait la viande. J’avais une petite boîte d'aquarelle de voyage et j'ai entrepris de dessiner les choses que je voyais autour de moi. J'ai débuté par de la peinture figurative, «nature morte». J'aimais beaucoup Morandi et Matisse. Bonnard était mon chouchou.. J'ai une jolie histoire à propos de Morandi mais je l’écrirai un jour dans un court récit. Avec le temps la couleur a commencé à envahir le tableau et le sujet s'est tout doucement effacé, jusqu’à arriver aujourd’hui à ce choix ponctuel et radical du non-sujet dans la toile et où la couleur EST le sujet.
Je pense que je vais cependant revenir au sujet… mais il m'aura fallu presque trois décennies pour être «radicale» et oser le «non-sujet», c'est un accomplissement pour moi. On peut voir cette plongée dans la couleur pure dans l'exposition qui a lieu actuellement au château de Vogüé en Ardèche.
Vous êtes la fille du céramiste et sculpteur belge Pierre Culot. Pouvez-vous dire que le métier de votre père vous a amené à suivre une voie artistique vous même?
Oui, quand j’étais enfant j'accompagnais mon père à son atelier et je modelais la terre à ses côtés. J'ai baigné depuis ma naissance dans un biotope artistique de qualité: mes deux parents sont artistes. Quand j'ai ouvert les yeux à ma naissance j’étais déjà avec des esthetes et chercheurs de beauté au quotidien. Ma maman, l'artiste illustratrice et graveuse Micheline Wynants m'a ouvert l'univers du dessin et de la peinture.
Céramiques de Pierre Culot
Vase de Pierre Culot
Vous avez imaginé deux tapisseries murales à partir de vos toiles. L’une d’elle est actuellement exposée au château de Vogüé dans l'Ardèche. Pouvez-nous nous en dire plus sur la conception de ce projet?
C'est une nouvelle aventure que la création de tapis et tapisseries. J'aime que l'artiste puisse s'exprimer par des techniques différentes. J'ai beaucoup d'admiration pour une artiste «complète» telle que Sonia Delaunay. Il n' ya pas d'art mineur et au contraire, chaque technique enrichit les unes et les autres. Je crois au «revival» de la tapisserie: je suis encore sous le choc à la vue d'une tapisserie dessinée par le Corbusier datant de 1953, exposée dans la salle du restaurant du château Lacoste dessinée par l'architecte japonais Tadao Ando: cette tapisserie est totalement moderne et contemporaine. Elle est tout simplement magnifique!
On connait les tapis crées par Eileen Gray pour la villa E1027 sur la Côte d’Azur, là encore, ces tapis sont intemporels..
J'ai crée une petite collection qui s'appelle R H I Z O M E S. Ce nom a été choisi pour la résonance de ces mots et leur «réalité» R H I Z O M E S pour: Connections, ramifications, reproduction, réseaux, hydratation, nutriments et réservoir d’énergie...
Nos tapis sont réalisés avec la technique dite du «noué main». Les matières utilisées sont la laine, la soie et le lin. Edition originale et série limitée de tapis et tapisseries.
Premier tapis R H I Z O M E S en laine, soie et lin. Technique du noué main (édition 1/7, 2018)
Où votre travail est-il visible actuellement ?
En France, il y a à une grande exposition en Ardèche au château de Vogüé, où le thème est la couleur. Ensuite il y a une exposition dans le Var au Castellet (domaine de L'olivette), et enfin une exposition en Bretagne à la Galerie «Le Gai Sabot» à Audierne.
Une exposition à nous conseiller cet été ?
Sans discussion, précipitez-vous à l'exposition Nicolas de Staël à l'Hotel de Caumont à Aix-en-provence ! A la Villa Datris à l'Isle sur la sorgue «Tissage Tressage, quand la sculpture défile»: superbe. L'exposition James Turell au musée de Nantes et celle sur les sculptures de Henri Moore à la fondation Edouard Leclerc à Landerneau.
Et un livre ?
Pour les livres, celui qui m'a le plus marqué dernièrement c'est celui de l'artiste Rom Ceija Stojka... : « Je rêve que je vis ? » Un tout petit récit de cette enfant qui a séjourné dans les camps de concentration lors de la seconde guerre mondiale. Pour moi il y a un avant ce récit et un après. Ma vie et ma conscience de la vie et du vivant ont été transformés à la suite de cette lecture. J’ai découvert la peinture de cette femme qui vers les années 2000 a entamé un travail de mémoire et de témoignage de «l'innommable»...
Pour conclure, avez-vous des projets pour la rentrée?
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