Une nouvelle année commence et le Strict Maximum profite de ce billet pour vous la souhaiter pleine de surprises. Pour aborder en douceur cette nouvelle période de 365 déceptions nous avons planché sur le dossier Zimbacca. Car Zimbacca par-ci, Zimbacca par-là, mais au fond...
Zimbacca c'est qui? C'est quoi?
Derrière ce patronyme aux airs de formule magique se cache un inventif créateur de mobilier & un architecte de talent. C'est en 2015 lors des ses investigations sur un mystérieux Pierre Chapo que la folle équipe du Strict Maximum repère pour la première fois le tout aussi mystérieux Dominique Zimbacca. N'ayant pas pour habitude de courir deux lièvres à la fois, nous avons laissé de côté Zimbacca pour mieux le retrouver aujourd'hui.
Clope au bec et Zimbacca.
Né à Paris de parents syriens, Jean-Pierre Zimbacca dit Dominique (ça on ne se l'explique pas) intègre les ateliers libres d'architecture de l'Ecole des beaux-arts où il suit les cours de Chappey puis ceux de Faugeron. Il y fait une rencontre décisive en la personne d'Hervé Baley, étudiant lui aussi.
En profond désaccord avec l'institution des beaux-arts et l'enseignement qu'ils considèrent en total décalage avec la réalité contemporaine, Zimbacca & Baley s'entendent à merveille sur leur rejet commun de l'architecture moderne et radicale.
A la mort de Le Corbusier en 1965, les deux amis cosignent une tribune dans le numéro spécial sur Le Corbu de la revue Aujourd'hui, art et architecture. Dans cet article à charge, les deux amis démontrent à quel point ils tiennent pour responsable Le Corbu de cette production de masse utilisée non pas pour répandre des chefs d'oeuvres mais pour produire des maison vulgaires et laides, un monde fermé, abstrait, centré sur un vide que l'habitant déraciné cherche à combler.
Hervé Baley, tout aussi étonné que vous.
Si l'école des beaux-arts ne leur sied pas, c'est tout de même là qu'a lieu la révélation avec l'exposition "l'oeuvre de Franck Lloyd Wright" qui s'y tient en 1952. Elle présente son travail alors relativement méconnu en France. Zimbacca & Baley y découvrent une architecture exempte de toute tradition académique et l'incarnation même d'une architecture de la liberté.
L'architecture organique de Frank Llyod Wright est une philosophie architecturale basée sur l'harmonie entre l'habitat humain et son monde naturel, recherchant l'intégration au site et faisant du bâtiment et de son mobilier une composition unifiée et intriquée à son environnement.
A partir de cet instant les deux amis vont étudier avec passion, chacun à leur manière, le travail et les dogmes de l'architecture organique de Wright.
Resiley house, Frank Lloyd Wright.
Sans obtenir un quelconque diplôme nos jeunes frondeurs profitent que le secteur de l'architecture privée ne soit plus réservé aux agences dirigées par de vieux coucous détendeurs du prix de Rome et créent l'Atelier de l'Art et d'Aménagement. Ils y engagent tout de même un collaborateur architecte diplômé, donc officiellement reconnu, ce qui peut toujours s'avérer utile en cas de besoin.
Après deux trois chantiers et aménagements intérieurs, la collaboration entre Zimbacca et Baley prend fin sans pour autant obérer leur amitié. Les raisons de cette séparation ne sont pas clairement connues, on sait seulement que Baley est le seul architecte dont Zimbacca se sent proche mais l'estime trop dogmatique et autoritaire pour continuer de travailler avec. Baley conserve l'agence et Zimbacca prend le large.
Sans commandes architecturales Zimbacca se concentre sur l'aménagement et le mobilier. Créer du mobilier lui permet d'affiner ses théories, il en confie d'abord l'édition à Françoise Sée et Pierre Chapo.
Ensemble édité par Pierre Chapo.
Détail de la table éditée par Chapo.
Zimbacca souhaite réapprendre le langage de l'artisan. Il se tourne vers des essences locales et le bois de récupération, magnifiant ses défauts pour en affirmer la valeur esthétique. Le mobilier de Zimbacca incarne sa démarche organique qui gouverne l'ensemble de sa création, préférant l'individualité à la standardisation.
Zimbacca assemblant la table 09 pavés vers 1975.
On retrouve dès les premières pièces les poncifs qui constituent l'essence de sa production: l'usage du motif de la pointe de diamant permettant d'encastrer des poutres de section triangulaire pour composer le meuble comme une charpente.
Table basse, Magen H Gallery.
Chaise, Magen H Gallery.
Fauteuil "Râ", photographié dans le jardin de Zimbacca.
Il utilise également le principe de la stéréotomie afin de composer des meubles faits d'empilements de bois dont résulte une impression de robustesse et d'équilibre. Il s'entoure de nombreux artisans qu'il veut actifs dans la création dont l'artisan-menuisier Jacques Mauraisin qui l'accompagne sur de nombreux chantiers et réalise la majeure partie de son mobilier.
Réclame avec la table neufs pavés, vers 1980.
Zimbacca se montre également particulièrement astucieux dans l'agencement intérieur de logement dont il doit optimiser l'espace. Tout d'abord il rejette la ligne droite, crée des lignes de fuites qui dynamisent l'espace et accentuent l'impression de profondeur. Ainsi l'œil ne s'arrête jamais sur une surface plane ou un angle droit mais glisse au fil des diagonales. Zimbacca soigne les détails et s'attache à créer des ambiances chaleureuses et conviviale jusqu'au dispositif d'éclairage en laiton réfléchissant une lumière indirecte et diffuse.
Une des plus étonnantes réalisations est une structure de tasseaux reprenant le motif du mobilier Triton qui équipe un petit logement d'une HLM à Clichy.
Agencement d'un appartement à Clichy, chaise Triton édition Chapo.
Portique Triton à Clichy.
Deux expositions lui apportent "un peu" de reconnaissance. D'abord en 1963 à la Galerie M.A.I puis en 1965 à la Galerie Jeanne Ostier où André bloc, décidément partout, le remarque et lui consacre un article dans sa revue L'Architecture d'Aujourd'hui lui offrant ainsi une visibilité nouvelle.
Exposition à la galerie M.A.I avec Françoise Sée.
En 1979, grâce à cette parution dans la revue d'André Bloc il rencontre Edmond Lay, admirateur lui aussi de Frank Lloyd Wright, qui lui demande de réaliser le mobilier de la maison Auriol à Gabaston. Tous deux tiennent compte du travail de l'autre dans la réalisation de ce projet. Zimbacca y emploie de vieilles poutres récupérées lors de la destruction d'une partie de l'hôpital de la Pitié-Saplêtrière. Leur lourdeur, leurs lignes simples en font le prolongement de la maison et définissent les différentes aires de l'habitation et leurs usages.
Vue intérieure de la maison Auriol et du mobilier Zimbacca.
Zimbacca, mobilier & luminaire pour la maison Auriol.
Zimbacca, actuellement chez lui.
A la fin des années 60, Dominique Zimbacca met en pratique ses théories architecturales. On lui confie la construction du centre paroissial Jean-XXIII à Saint-Quentin dans l'Aisne dont il ne pourra s'empêcher d'en construire également le mobilier liturgique ainsi que deux trois bricoles.
Centre paroissial Jean-XXIII.
Autel liturgique, centre Jean-XXIII.
Siège de célébrant, centre Jean-XXIII.
Si le centre paroissial est son unique bâtiment public, côté privé, il réalise une quinzaine de maisons, principalement situées en Île de France.
Réalisées à partir d'une trame hexagonale, elles reprennent la même organisation articulée autour d'un espace central, carré ou rectangulaire, auquel il adjoint des développements se terminant par des angles à 60 degrés. Le développement de ses plans est à priori infini, à l'image de celui du développement des formes de la nature.
Elles répondent toutes à la volonté de Zimbacca d'échapper à l'uniformité et de répondre aux besoins des habitants, sachant que Madame Dupont n'a pas les mêmes que Monsieur Durand.
"Je veux une maison qui a son opinion et ses petites manies. Une maison qui a son caractère et sa personnalité et qui dise à chacun sa façon de penser"
Plan d'organisation d'une habitation.
Sa première commande privée arrive au début des années 70 avec la maison Michard. Il vous faut savoir qu'à cette époque notre Zimbacca vient de fonder un groupe communautaire répondant au doux nom d' Art & Habitation.
Il considère alors son initiative comme l'aboutissement de sa philosophie organique de l'architecture et du travail.
Dans un grand isolement et des conditions matérielles rudes, le groupe est organisé autour de Dominique qui initie les étudiants à l'oeuvre de Wright. Il partage avec eux sa connaissance du travail du bois. Certains de ces élèves participent au projet de cette maison Michard mais Zimbacca la termine finalement seul suite à la dissolution brutale du groupe.
Maison Michard.
Vue intérieure de la maison Michard. Vue intérieure de la maison Michard.
Le tour de passe-passe de notre magicien Zimbacca est de réaliser des habitations qui ont tout d'une grande sans forcément en avoir le prix.
En effet la clientèle de l'architecte est loin d'être des plus fortunées et il doit donc composer avec des budgets limités. Zimbacca cherche donc l'économie dans les matériaux mis en œuvre et non dans la réduction des espaces. Il utilise volontiers le Siporex, béton cellulaire doté de bonnes qualités physiques et thermiques et dont il à une parfaite maitrise. Puisqu'à budgets limités mètres carrés limités, Zimbacca joue également sur les dimensions psychologiques grâce à une ouverture presque totale du volumes de ses habitations ce qui augmente considérablement le sentiment d'espace et les possibilités d'agencement. Dans son livre Nouvelles architectures de maisons en France aux Editions Du Moniteur paru en 1979, Dominique Amouroux nous fait remarquer que parmi tous les programmes qui y sont présentés c'est bien celui de Dominique Zimbacca, pourtant fort original et abouti, qui vous coutera le moins cher.
Maison Zimbacca 1.
Quitte à être doué et à savoir faire bien avec peu, Dominique Zimbacca réalise pour son usage personnel deux maisons. La première en 1986 à Varenne-Jarcy dans l'Essonne puis une seconde à Tourouvre dans l'Orne en 1997. Pris d'une furieuse envie de se mettre au vert, il quitte sa maison dans l'Essonne pour l'Orne, emportant tout de même avec lui tout le mobilier sans oublier son épouse Geneviève.
Maison Zimbacca 2.
Autre construction remarquable, la maison Etienne en Savoie. Notons que c'est la maison présentée dans le bouquin de Dominique Amouroux, cité plus haut, qui motive Monsieur Etienne à passer commande chez Zimbacca.
Edifiée entre 1990 et 1993, ce après bien des péripéties, la maison Etienne domine le lac du Bourget. Invisible depuis la route, elle se dévoile au dessus de la frondaison des arbres. Elle dispose de deux nacelles de bois qui surplombent le lac, suspendues à la façade par d'importantes poutres, accentuant encore un peu plus l'aspect fantastique de la construction.
Avec tout ça Dominique Zimbacca ne demandera son inscription au tableau de l'ordre des architectes qu'en 1982 chose sans doute liée à sa collaboration fructueuse avec Edmond Lay qui lui donne l'envie de sortir de sa marginalité jusqu'ici assumée.
En bon Zimbacca il finit par en démissionner en 2002. 20 ans c'est déjà bien.
Si une seule chose était à retenir, ce ne serait ni ses meubles, ni ses habitations mais plutôt l'engagement total de Zimbacca envers ses propres préceptes architecturaux. Pas du genre à faire des concessions, Dominique Zimbacca s'est toujours autorisé la plus grande liberté de ton, restant en dehors de toute mode, toute tendance, loin de la pensée dominante et pour une grande partie de sa vie, dans une relative pauvreté matérielle.
Sépulture de Dominique Zimbacca, Tourouvre.
Dominique Zimbacca s'éclipse sur la pointe des pieds en 2011. Nous terminerons ce billet sur la pensée éclairée de notre homme du jour, publiée en 1980 dans la revue L'Architecture d'Aujourd'hui :
"Malgré les progrès foudroyants de la production de masse, malgré les destructions des villes et des paysages, malgré la menace de la modernité, voici aussi, peut-être, un nouvel art pour laisser espérer que le pire n'est pas toujours sûr, parce qu'il est bien rare que les choses arrivent telles qu'on les attendait"