Nous venons de terminer la peinture de la 17ème fenêtre et ce ciel qui inonde contrarie les plans que nous avions pour la 18ème. Nous avons donc au Strict Maximum un peu de temps à tuer ce qui tombe presque bien puisque nous avons également un sujet qui nous brûle les doigts depuis plusieurs semaines. Un de ces sujets qui s'impose à vous, un sujet qui était déjà présent dans d'autres sujets abordés ici mais suffisamment discret pour que nous n'y prêtions pas attention.
Si l'on vous dit Lombreuil, ça ne vous évoque rien? Si l'on vous dit Jacques Blanc, rien non plus? Nouvelles images peut-être? Toujours rien? Le Strict Maximum dont la bonté n'a d'égal que sa passion, va une fois de plus tenter d'y remédier.
Au Strict Maximum nous aimons effectivement les histoires dans les histoires, et c'est le cas avec les éditions Nouvelles Images dont nous vous parlons aujourd'hui. C'est le petit album "Pollution" de Véronique Filozof (dont nous vous avons parlé ici) édité en 1973 par "les Nouvelles Images à Lombreuil 45" qui pique la curiosité du Strict Maximum. C'est même plus précisément ce "Lombreuil 45" qui nous intrigue et nous donne envie d'en savoir d'avantage sur cet imprimeur du Loiret, notre nouveau terrain de jeu.
Alors que nous avions remis cette petite enquête à plus tard, Odette Ducarre nous ramène sur la route de Lombreuil. En effet lors de notre billet sur Odette (ici) nous avions noté sur notre to do list de visiter Thimory et Vimory, deux villages où Odette Ducarre a réalisé des vitraux en collaboration avec Paul Virilio. Hasard Ô grand Hasard, Thimory et Vimory sont des villages du Loiret et par où passe-t-on par joindre l'un et l'autre? Par Lombreuil! Et pile devant les locaux des Nouvelles Images en plus. Vous croyez au destin? Le SM oui.
Comme le sont la plupart des églises françaises, l'église de Vimory est fermée au public en dehors des dates et heures de réjouissances. C'est donc avec l'intervention d'une dame pieuse et très sympathique que nous parvenons à la visiter. Notre guide est intarissable à son sujet et nous apprend que la proximité d'avec Lombreuil n'est pas un hasard puisque c'est en fait Jacques Blanc, directeur des Nouvelles Images, qui à initié le projet de restauration des églises de Vimory et Thimory en y associant Odette Ducarre et Pierre Székely. Rien que ça. La machine est lancée.
Pour raconter les Nouvelles Images il faut remonter aux années 50. La vie très différente d'aujourd'hui est alors marquée par un profond intérêt spirituel. C'est l'époque de la modernisation de l'art sacré à travers des initiatives avant-gardistes en conflit avec une tradition passéiste. C'est dans le quartier de l'église de St Sulpice que nous pouvons nous procurer le merchandising religieux. Nous parlons alors d'art saint-sulpicien, art qui ne propose aux fidèles que des images chargées aux sempiternels anges mièvres et autres saints trop souvent angoissants.
Ce commerce d'images religieuses explose littéralement avec les nouvelles techniques d'impression. Seulement ces bondieuseries là ne sont pas du goût de Jacques Blanc et son épouse Nicole. Croyant et moderne, le couple ne s'y retrouve pas. Qu'à cela ne tienne, puisque l'art sacré moderne n'est pas représenté ils vont s'en charger. En 1957 et des poussières Jacques et Nicole croisent un couple de la même trempe, Robert Morel et Odette Ducarre. Robert et Odette ont fondé quelques années auparavant le Club du Livre Chrétien et participé à la création du Club du Disque Chrétien et joueront un rôle important dans l'histoire des Nouvelles Images.
Sur les conseils avisés de Robert Morel Jacques Blanc crée l'association loi 1901 le Club des Nouvelles Images où, hors des circuits habituels il va proposer des éditions de qualité à des prix aussi bas que possible. A cette époque Jacques est journaliste au quotidien La Croix et travaille également pour l'Agence France Presse. Pour l'aider à se lancer ses collègues journalistes proposent de placer des encarts pour présenter son association et lui permettent ainsi de recruter quelques centaines d'adhérents rapidement.
Très vite un groupe d'amis s'associe sous l'initiative du Club des Nouvelles Images: Pierre et Véra Székely, Odette Ducarre et Robert Morel, Véronique Filozof, Jacques Le Scanff et Philippe Touvay.
Le but du club est particulièrement audacieux puisqu'il souhaite s'adresser aux maîtres capables d'opérer le renouveau de l'art sacré. Pour y parvenir Jacques Blanc est aidé par plusieurs membres de l'église qui partagent sa vision. Le prêtre Amédée Ayfre devient son interlocuteur privilégié et ensemble les deux hommes rencontrent les artistes ou leurs ayants droit.
Dans un premier temps le Club des Nouvelles Images fournit une collection d'images et de cartes de noël, pas de quoi fouetter un chat nous direz vous mais des cartes et images d'artistes modernes à cette époque c'est déjà une toute autre histoire. Cerise sur le gâteau, les oeuvres que ces artistes créent ou fournissent sont uniquement des oeuvres inédites. Progressivement le club introduit des cartes postales, une revue, des éditions de livres et même de sculptures.
Le public que vise le club est loin d'être uniquement composé d'amateurs d'art et c'est en soit son grand pari : distribuer au plus grand nombre et dans tous les milieux la peinture contemporaine en utilisant le support de l'image imprimée.
Le projet de Jacques et Nicole Blanc aurait pu rester à l'état de rêve mais l'accueil des artistes et le travail fournit par l'équipe en ont décidé autrement. Amédée Ayfre et Jacques Blanc mettent tout en œuvre pour approcher les artistes qu'ils admirent et parviennent même à rencontrer George Braque.
On se demande alors comment ce petit club qui stocke ses premières impressions sous son lit parvient à attirer les grands noms de l'art contemporain. C'est grâce à Alfred Manessier. Quand Jacques Blanc et Amédée Ayfre le rencontrent, artiste majeur de l'école de Paris, il est alors considéré comme le chef de file du renouveau de l'art sacré. Il est le premier à introduire des vitraux abstraits dans une église. L'artiste pour qui "notre monde laïque à besoin de retrouver le sens du sacré" accepte avec joie de créer pour le Club des Nouvelles Images deux gouaches originales. Ce seront les premières cartes de noël et les premiers succès.
Manessier fait vendre et donne du crédit au club. Les artistes qui lui sont proches s'intéressent alors à Jacques Blanc et à ses nouvelles images. Pour autant, faire tourner le club n'est pas de tout repos. Si l'enthousiasme des uns est réconfortant, il se heurte aux critiques véhémentes des autres. A la sortie des cartes de Manessier, le journal La Semaine de Paris manifeste ses réserves "Nous ne comprenons pas grand choses à cet art abstrait qui tente d'illustrer des inscriptions tirées de l'Ecriture Sainte" quand Paris Match annonce "une offensive contre le style Saint Sulpice". Plus tard lorsque les cartes de Matisses et ses nus bleus paraîtront plusieurs libraires y seront hostiles "comment un nu pourrait-il être bleu?" Bah oui comment?
Dès le début de la création du club, Jacques et Nicole sont décidés à proposer des reproductions à accrocher au mur. Les lithographies coûtent cher et ils pensent alors à des "affiches d'art contemporain". Après les cartes c'est donc au tour des affiches d'être proposées dans différents formats dès 1961. Là encore elle seront éditées à partir d'œuvres inédites. Jacques et Nicole commencent avec un grand format de Véronique Filozof et trois de Székely. C'est véritablement en 1968 que le vrai départ pour la création d'affiches est donné avec celles de Braque. On parle d'Images Monumentales. En 1961, Jacques Blanc édite une carte de Braque "l'oiseau blanc sur fond bleu". Cette carte doit être présentée dans une émission télévisée et doit donc être largement agrandie. Une fois fait, Braque demande à conserver l'agrandissement "quand une œuvre est réussie, elle n'a pas de mesure". 7 ans plus tard notre ami Jacques Blanc se souvient de cette phrase et décide pour ces 3 affiches de viser directement la dimension la plus grande techniquement possible en sérigraphie et donne naissance à deux choses, le reproductions d'art moderne et le très grand format.
Le public est conquis. Des groupes ici et là militent même pour le club. Certains organisent des expositions pour faire circuler les créations comme c'est le cas à Lyon avec Colette et Tony Bussery. La production du Club des Nouvelles Images commence à être perçu en premier pour ses qualités artistiques et attire de plus en plus d'amateurs d'art contemporain ce qui lui permet d'assurer une diffusion à l'international rapidement. En 1960 les trois-quarts des abonnés sont en France et le reste reparti entre le Belgique, la Hollande, la Suisse, le Canada et les Etats-Unis.
Le Club des Nouvelles Images entretient un lien particulier avec ses abonnés via les publications qu'il met en place dès le début des éditions. La communication à toujours été importante pour Jacques Blanc mais il ne s'agit pas simplement de communiquer sur les tarifs, les modalités ou les publications mais bien de partager une réflexion sur les artistes. Au delà des bulletins aux abonnés c'est par le biais d'une revue que ce lien est entretenu. En 1964, la revue " Formes Sacrées" est utilisée comme le support d'une recherche intellectuelle parallèle aux recherches plastiques. Cette revue est un marqueur des différents changements au Club Des Nouvelles Images. D'abord "Formes sacrées" elle devient tout simplement "Nouvelles Images" en 1967 avec la parution du numéro 11, une appellation moins équivoque.
Changement de nom pour la revue et changement de nom et de structure pour le Club des Nouvelles Images qui devient la SARL Nouvelles images. Egalement changement d'adresse puisque notre joli monde migre alors dans le Loiret et s'installe à Lombreuil grâce à l'achat d'un grand terrain aux Soeurs des Campagnes. La famille Blanc en profite pour se faire construire une maison à quelques centaines de mètres des bureaux et demande à Pierre Székely, c'est bien normal, de s'y coller. La maison est vite shootée par les incontournables de l'époque, Pierre Joly & Véra Cardot.
Suite à leur installation dans le Loiret, Jacques Blanc cesse le journalisme et se consacre exclusivement aux éditions. Le numéro 12 "La fin de l'art chrétien" coïncide à peu près avec les dernières éditions d'images à caractère religieux. Jacques Blanc se concentre ensuite sur l'art tout court. Certains numéros sont consacrés exclusivement à un artiste qui choisit textes et images: Arp, Ubac, Zack, di Teana, Sugaï sont de la partie.
Seulement, pour s'assurer pitance Nouvelles Images ne doit pas simplement se fendre d'une revue et papoter avec ses abonnés. Jacques le sait et gâte son petit monde en ne proposant que des choses de qualité comme en témoignent les impressions réalisées en collaboration avec Pierre Székely. Un exemple parfait: Le livre de la Pierre édité en 1965. Székely conçoit son système d'impression propre et imprime à partir d'empreintes de ses marbres sculptés sur du papier filtre. Il utilise également cette technique pour les images précédemment tirées par Jacques Blanc. Le livre est composé de 12 estampes originales avec en regard le texte de Jacques Blanc. Les séries d'images d'Odette Ducarre, particulièrement lumineuses et texturées attestent également de cette volonté de proposer des choses exceptionnelles.
Le papier c'est bien joli mais Nouvelles Images propose également des Objets, pour le coup véritables objets de désirs vendus quelques dizaines de francs afin d'en assurer la diffusion et surtout qu'ils soient accessibles par tout à chacun. Il y a d'abord les croix de Székely, cinq en bronze, une en pierre, et une croix d'aube en chêne et acajou. Odette Ducarre ensuite avec une croix en bronze qu'elle préfère appeler Calvaire puisqu'il s'agit en réalité de 3 croix réunies en une. Nous retrouvons également Elisabeth Joulia et ses personnages de crèche en grès. En 63 place à Marta Pan avec -roulements de tambours- une planche à pain! En orme, elle est présentée comme une sculpture noble pour offrir le pain. Alexandre Noll proposera également plusieurs modèles de croix, en bois évidemment.
A l'époque le monde de l'art moderne voit apparaitre le concept de "sculptures multiples". Il s'agit de concevoir et d'éditer à plusieurs dizaines ou centaines d'exemplaires une sculpture originale pour en faciliter l'accès à un public plus large. Les Nouvelles Images vont se frotter au concept et sortir 28 sculptures entre 1966 et 1972. C'est Jean Arp qui inaugure cette série en confiant une de ses étoiles aux Nouvelles Images. Initialement prévue en laiton brut, finition qui finalement ne lui rend pas justice, elle sera dorée à l'or fin et numérotée. Bien que ce changement implique un prix de vente plus élevé que prévu l'édition est un succès. La galerie La Hune à Paris en commande 50 et une centaine part briller en Amérique.
Ce succès arrive alors que l'entreprise connait quelques difficultés et Jacques Blanc décide donc de poursuivre les éditions multiples. Jean Arp disparu, c'est son épouse Marguerite qui confie les reliefs suivants aux Nouvelles Images. Cette série est l'occasion de retrouver des artistes fidèles aux Nouvelles Images comme Odette Ducarre, Kumi Sugaï, Mario di Teana, Raoul Ubac, Emile Gilioli quand d'autres collaborent pour la première fois comme Alicia Penalba et Osa Scherdin.
Cartes Postales 1969 - Jean Leppien.
Super article et remarquables recherches! on aime comme tout est connecté! Quelle fabuleuse époque...
RépondreSupprimerMerci de continuer à nous ravir!
RépondreSupprimerImpressionné par la qualité et la précision de votre article. J’ignorais que mon père était à l’origine de la réfection des vitraux cités. Bonne continuation.
J baptiste Blanc
Merci pour votre message, quelle histoire fantastique que celle de vos parents! Nous n'en sommes toujours pas sortis, ce qui était passionnant reste passionnant!
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimeren rangeant des documents appartenant à mon père je viens de retrouver quelques cartes éditées par les éditions nouvelles images: Kimi Sugai, Ubac, Szekely, Zack… …. Je tremble en pensant qu’elles auraient pu se retrouver à la poubelle !
Bonjour,
RépondreSupprimerMa mère (née en 1939) fut religieuse dans le couvent voisin de la maison du couple Blanc. Elle a travaillé en 1963 pour eux : elle faisait du ménage mais aussi - et ce fut une respiration de bonheur pour elle qui se retrouvait dans ce couvent un peu malgré elle -, elle participait à donner "des noms aux illustrations d'œuvres religieuses" et à écrire des adresses sur des enveloppes pour la correspondance et les envois publicitaires de la toute jeune maison d'éditions Les Nouvelles Images.
C'est formidable de pouvoir lui montrer aujourd'hui, 60 ans plus tard, des photos de "Monsieur Blanc", des lieux et de certaines cartes postales, grâce à votre blog et votre travail. Un grand merci !
Merci pour ce charmant message...il nous est toujours agréable d'avoir des retours comme le vôtre, qui même si le temps nous manque, entretiennent la flamme de notre motivation. Comment va votre maman? Peut-être vit elle toujours dans le Loiret?
SupprimerBonjour et merci pour votre réponse. Elle vit en Loire-Atlantique, son département de naissance. Dans un livre auto-édité ("Mes petits écrits", Marie-Jo Boucherie, novembre 2023), elle raconte ses souvenirs dont celui de la rencontre du couple Blanc qui lui apporta une touche de bonheur dans une période pas facile de sa vie.
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