jeudi 12 février 2015

Les Bijoux de Margaret.

Grand amateur de bijoux de famille, c'est tout naturellement que le Strict Maximum vous parle aujourd'hui de Margaret de Patta.

Les bijoux De Patta, influencés par le mouvement Bauhaus, sont de véritables sculptures "prêt-à-porter".
Née à Washington en 1903, Margaret apprend les arts à San Francisco, et se passionne plus particulièrement pour la peinture. La bourse qu'elle décroche en 1926 lui permet d'intégrer la prestigieuse Art Students League de New York. 
De retour en Californie en vue de se marier et ne trouvant rien qui corresponde a ses goûts modernes, elle décide de créer elle même son alliance.


Dans un premier temps, Margaret dessine beaucoup. Mais rapidement, elle ressent le besoin de voir et de toucher ses créations. Autodidacte, Margaret acquiert seule les techniques pour réaliser ses bijoux.


Une fois la machine en route, la création de bijoux devient alors l'unique moyen d'expression de Margaret, elle délaisse définitivement la peinture à laquelle elle s'adonne depuis de très nombreuses années. 




Pour De Patta, la conception de bijoux partage les mêmes préoccupations que l'architecture moderne et la sculpture : "espace,  forme,  tension,  structure organique, échelle, texture, interpénétration, superposition, et économie de moyens" en sont les maitres mots.


Désireuse d'élargir sa compréhension des dernières théories modernistes, ainsi que d'apprendre les nouvelles techniques et d'explorer de nouveaux matériaux, Margaret se rend à Chicago pour étudier à l'École de design avec son directeur fondateur László Moholy-Nagy.
Ancien membre du Bauhaus, Moholy-Nagy est reconnu comme novateur dans les domaines de la photographie et de la sculpture constructiviste. 

Souhaitant intégrer le concept de l'artiste hongrois de «vision en mouvement» dans ses bijoux, De Patta invente "opticuts". Ingénieux système dans lequel les facettes du quartz rutile agissent comme des fenêtres qui permettent à la lumière de pénétrer la pierre et de révéler ainsi sa structure interne. 


Elle parvint également à inclure des éléments cinétiques dans ses bijoux et a souligner la structure de ses pièces en inversant les éléments de conception positifs et négatifs. 


Même si elle ne passe qu'une année à Chicago, sa vie s'en trouve complètement changée.
Elle déménage tout d'abord de sa maison de brique pour une maison moderniste lumineuse.

Elle divorce ensuite de Samuel de Patta, et quelques années plus tard elle épouse le designer industriel et professeur Eugene Bielawski rencontré à l'école de Chicago.


En 51, Margaret devient l'un des fondateurs de l'école "San Francisco Matal Arts Guild" où elle y enseigne avec son époux.
L'école fait la promotion des principes démocratiques et devint rapidement la cible des politiciens adepte de "maccarthysme" l'accusant d'être un front communiste.
Le couple est mis à l'index et doit quitter l'école qui sera fermée quelques années plus tard. 




Après une tentative avortée d'ouvrir leur propre école Bauhaus, le couple se tourne vers la production en série des bijoux de Margaret.
Pour cause, la réalisation artisanale des pièces est tellement chronophage que les prix pratiqués sont élevés et ne permettent qu'a une clientèle aisée de se les offrir.
Le fait de vendre seulement aux riches est en conflit avec la philosophie de conception démocratique du Bauhaus et contrarie fortement De Patta. 



Le couple fonde alors "Designs Contemporary" une société qui leur permettra de produire des bijoux pour la classe moyenne.
A cette occasion, De Patta conçoit 40 à 50 modèles en argent en éditions limitées.



Les pièces de production, principalement des bagues et des broches, sont vendus à travers le pays à des prix abordables. 
De Patta et son mari sont emballeurs, expéditeurs, gèrent le  marketing, mais fabriquent également.
Les bijoux se vendent surtout en Californie où les gens semblent être plus ouvert à la  vague moderne.




De Patta peine à sortir de l'artisanat, elle crée alors une ligne de bijoux fantaisie mais celle ci ne rencontre pas le succès qui permettrait à l'entreprise de maintenir le cap.
Margaret participe à un concours de création de bijoux, aboutissant à une production de masse par un grand fabricant. 
De Patta passe des centaines d'heures sur les dessins, donnant naissance à des objets sculpturaux aux formes biomorphiques.
L'organisateur dira qu'il était évident que De Patta ne gagnerait pas le concours "tant ses créations étaient complexes et avant-gardistes."

En 1957, le couple ferment l'entreprise faute de résultat.

De Patta tournée plus que jamais vers l'expérimentation, donne des conférences sur les techniques nouvelles tout en créant des bagues, broches et boucles d'oreilles pour certains points de vente.



A cette époque, le couple fréquente beaucoup d'artistes de la baie de San Francisco.
Margaret aime particulièrement échanger ses bijoux contre les œuvres de ses collègues et amis.
Margaret acquiert ainsi une sculpture de Ruth Asawa en échange de bijoux. Elle troque également ses créations contre des photos avec Imogène Cunningham .
Elle apprend -contre quelques bijoux- la musique baroque bien qu'atteinte progressivement de surdité.



Frustrée par les échecs qu'elle rencontre, Margaret sombre peu à peu dans la dépression.

Elle se suicide le 19 Mars 1964.

Merry Renk, bijoutier et ami de longue date de Margaret dira qu'elle était également terrorisée à l'idée de vieillir.
Il écrira dans une lettre adressée à l'époux de Margaret : 

"En vieillissant, nous nous rendons compte que les meilleures années sont celles où nous sommes totalement absorbés par ce que nous aimons le plus faire au monde. De ce point de vue, aucun de nous n'a autant vécu que Margaret"



2 commentaires:

  1. Merci pour cet article, à la fois instructif (j'avoue que je ne connaissais pas cette créatrice hors-normes), excellement documenté et émouvant à la fois (triste fin pour une artiste dont le travail titanesque ne semble pas avoir rencontré le succès escompté...) !

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    1. Merci à vous cher GlopGlop!
      Nous ne connaissons De Patta que depuis peu de temps mais son histoire passionnante et son travail extraordinaire devait être mis en avant. C'est la photo d'Imogène Cunnigham où Margaret pose avec son Asawa qui nous a mis sur sa piste ;-)

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